W est un collectif de recherche sur l’action en représentation. Qu’est-ce qu’agir sous le regard d’autrui ? Qu’est-ce qui caractérise cette relation qu’on appelle théâtre ?

Pour répondre à ces questions, W développe simultanément trois approches complémentaires : une pratique qui construit des outils et des techniques pour l’acteur ; une critique qui propose des protocoles de réception pour le spectateur ; et une théorie qui travaille à définir des notions utiles aux deux premières..

W produit notamment des jeux, un logiciel d’écriture de partitions, un précis de notions opératoires, des stages et sessions pratiques, des séminaires critiques, ainsi que divers articles et conférences.

Introduction à W est la transcription d'une conférence donnée par Joris Lacoste et Jeanne Revel à l'école des Beaux-Arts de Paris en 2007. Y sont présentés certains des présupposés de la démarche W, illustrés d'exemples divers.

Tactiques de bloc est un article qui se présente complémentairement aux règles du jeu du Bloc. À l'aide d'exemples tirés de parties qui ont eu lieu, il expose différentes manières de jouer, stratégies et tactiques.

4 spectacles génériques rassemble quatre compte-rendus de parties du jeu "Générique", rédigés à la manière de critiques de spectacles.

Une partie de tombeau consiste en plusieurs dialogues écrits à partir d'une partie du jeu du Tombeau jouée en septembre 2009.

Une partie du jeu de la Règle est la transcription d'une partie typique de ce jeu.

PRÉSENTATION

Générique a été imaginé en 2005 lors d’une résidence au Centre Chorégraphique de Montpellier dans le cadre du projet “Bonbonnières” de Jennifer Lacey en 2005, avec la complicité d’Alice Chauchat puis de Nicolas Couturier. Il a ensuite été développé de façon parallèle par le collectif berlinois everybodys et par le groupe W autour de Joris Lacoste et Jeanne Revel.

Ce jeu est une performance qui peut être programmée dans un contexte classique de théâtre ou de festival. Il est par ailleurs copyleft, c’est-à-dire que n’importe qui peut se l’approprier et le proposer à n’importe quel public. Il a pu ainsi être pratiqué dans le monde entier par toutes sortes de gens que, pour la plupart, nous n’avons jamais rencontrés.

Le principe du jeu est en effet très simple. Contrairement au jeu du Bloc et au jeu du Tombeau qui demandent quelques explications et un peu de pratique, Générique fonctionne tout seul et tout de suite, pour peu que les participants aient connaissance de la situation de “bord plateau” ou de “post-show talk” que l’on rencontre souvent dès que l’on va un peu au théâtre : des membres d’une équipe artistique (acteurs, danseurs, metteurs en scène, chorégraphes, dramaturges, costumiers, musiciens, etc.) viennent après le spectacle rencontrer certains de leurs spectateurs et discuter de la pièce qu’ils viennent de montrer. Ce dispositif très codé induit tout seul un certain type de prise de parole, une répartition des questions-réponses, un lexique spécifique. Dans Générique, en l’absence de spectacle a priori, les “spectateurs” sont chargés d’inventer de possibles questions tandis que les “artistes” doivent imaginer des réponses cohérentes. C’est ce dialogue qui crée la fiction d’une œuvre à la croisée de leurs fantasmes respectifs.

Car en même temps qu’une fiction, Générique fait aussi et surtout apparaître les imaginaires des spectateurs ou spectatrices, les horizons d’attente, les codes de représentation, les spécificités de contexte (selon que l’on joue Générique dans un festival international de danse à Rotterdam, un squat à Belleville, un Centre Dramatique National, les spectacles imaginés prendront des formes très diverses). En obligeant les “artistes” à justifier les choix les plus saugrenus, Générique est aussi un exercice qui travaille les codes et les figures du discours d’artiste.

Les 4 textes suivants sont des recensions de parties de Générique, rédigées après-coup sous forme de pastiches de critiques de presse ou de blogs. S’ils ne donnent pas une juste impression de la performance elle-même qui s’est improvisée entre artistes et spectateurs, ils font néanmoins apparaître quelque chose de la production imaginaire collective produite par ce jeu.

4 SPECTACLES GÉNÉRIQUES

// Cycle

C'est une pièce très courte (25 minutes) mais d'une densité remarquable que l’Ensemble Théâtral d’Aubervilliers nous a proposée hier soir aux Laboratoires. Si l’on précise que la rencontre avec le public a duré deux fois le temps de la pièce elle-même, on donnera peut-être une idée de la richesse et de la complexité de ce travail qui emprunte aussi bien au théâtre et à la danse qu’à la musique la plus contemporaine.
Dans une certaine mesure, Cycle pourrait être qualifié de “théâtre musical”, quoique pas au sens où on l'entend habituellement. Quelqu'un dans le public a dit : “Du théâtre musical, mais très ordinaire”, voulant sans doute signifier par là que rien dans cette pièce ne semble formel ou forcé, mais que le sentiment qu'elle provoque est plutôt mélangé : l'impression d'une grande évidence, comme d’un discours spontané ou improvisé, et en même temps d’une grande complexité, “comme si L’Homme sans qualités était condensé en 25 minutes” (dixit le même spectateur).

De fait, les quatre interprètes (Viviana Moin, Judith Cahen, Amaia Urra, Jeanne Revel) ont expliqué que tout dans le spectacle se trouve très précisément écrit, exception faite d'un encart central de 26 secondes où il y a une marge d'indécidable (le moment des applaudissements, par exemple, n'avait pas été décidé à l'avance). La partition vocale a été composée collectivement à partir de “chutes”, c'est-à-dire de moments parlés que normalement on ne garderait pas au montage : hésitations, respirations, chevilles, répétitions… Ces chutes jouent un rôle “métonymique” (pour reprendre les mots des artistes) : quand elles sont bien choisies, elles tiennent lieu de pans entiers de discours. Aucune chute n'étant utilisée deux fois, leur unicité charge le présent “d'une tension quasi-explosive”, ouvrant en même temps “une part d'invisible et d'imperceptible” qui traverse les autres niveaux de la performance.

Les gestes et le discours suivent deux partitions parallèles, l'écriture de la chorégraphie s'étant faite selon des logiques analogues à l'écriture de la partition sonore, quoique les deux niveaux n'entretiennent aucun rapport. Le jeu de mains, par exemple, s'est inspiré d'observations de la gestuelle d'enfants en cour de récréation, et notamment de tous les moments vacants où les enfants ne savent pas bien quoi faire de leur corps. Quant à la présence d'un chef d’orchestre (Pascal Queneau), très remarquable du fait de son costume jaune et de sa position de dos à l’avant-scène, elle n’est en rien décorative mais a pour fonction de “spatialiser” les sons émis par les quatre performeuses.

À certains spectateurs ayant posé la question du naturalisme, les artistes ont répondu par la notion de “méta-naturalisme”, Viviana Moin avançant même le concept de “bi-naturalisme”, lequel met en jeu des situations de “bilinguisme culturel”, c'est-à-dire des signes (sons ou gestes) qui n'ont pas le même sens selon la culture : par exemple, un haussement d'épaules en Uruguay n'a pas exactement la même signification qu'en Islande. Il a aussi été question du recyclage à l'œuvre dans ce travail (d'où le titre), puisqu’il s’agit littéralement de récupérer et de trier des chutes de parole et de mouvement, de “redonner vie au rebut”, de “produire l’énergie du spectacle en laissant fermenter les résidus”. Une démarche “écologique” à laquelle le public albertivillarien n’était certes pas habitué, mais qu’il a tenu à encourager de ses applaudissements les plus chaleureux.
(d'après le Générique du 20 mars 2009)

// Cosi Fan Tutte

Chaque saison voit resurgir un nouvel épisode de l'antique querelle opposant les amateurs d'opéra aux metteurs en scène d'avant-garde, les seconds se voyant régulièrement reprocher par les premiers la liberté, la fantaisie, voire la désinvolture avec laquelle ils traitent le livret original.

La création mondiale, mardi dernier, de la nouvelle production de l’Opéra Bastille, un Cosi Fan Tutte mis en scène par Judith Cahen, a montré une fois de plus l’étendue de ce différend, si l'on en juge par la véhémence des réactions du public dont des pans entiers ont très bruyamment quitté la salle dès les premières minutes du spectacle. La traditionnelle rencontre après la représentation, animée par un Frédéric Danos complètement débordé, a pris la forme d’un affrontement en règle entre partisans et détracteurs du spectacle, et n’a guère servi qu'à creuser un peu plus le fossé d'incompréhension qui sépare les deux camps.

Pourtant, s’il est évident que cette version de Cosi Fan Tutte n'a rien pour apaiser le débat, elle permettra peut-être d’en redéfinir les enjeux. En effet, la distance entre la musique et la mise en scène est ici poussée à son point de rupture, celui d'une stricte séparation entre le plan sonore et le plan visuel : tandis que la direction musicale, sous la baguette inspirée de Nicolas Couturier, respecte rigoureusement la partition de Mozart, la mise en scène de Judith Cahen déploie un nouvel argument complètement autonome. Cette prouesse est rendue possible grâce au très subtil parti tiré du procédé des surtitres : ils n'ont plus la fonction de traduire ce qui est chanté, mais ils proposent des dialogues originaux de Constantin Alexandrakis, qui du livret de Da Ponte ne conservent que la structure. À ce compte, la mise en scène peut s'émanciper entièrement des marivaudages auxquels cette partition nous avait habitués, pour nous narrer la trajectoire très contemporaine de quatre amis tentant de percer à Broadway dans la carrière de chanteur, et qui seront détournés de leurs rêves par le doute, l'adversité, la jalousie, et finalement la mort.

Il est étonnant de voir à quel point le stratagème fonctionne : comme la rencontre d’après-spectacle l'a fait apparaître, un spectateur aveugle n'y entendra rien d'autre que “son” Cosi Fan Tutte ; un spectateur sourd, quant à lui, pourra assister à un drame psychologique que ne renierait pas un Minelli. Quant à celui qui a tous ses yeux et toutes ses oreilles, s’il ne hurle pas au scandale, il aura le loisir de s'enchanter de tout ce que cette merveilleuse musique peut nous dire de neuf, et pourra applaudir l'ironie subtile avec laquelle la mise en scène joue des situations auto-référentielles, ne cédant jamais à la parodie non plus qu’à l’absurde, et exploite toutes les richesses de la partition pour nous faire partager des destins qui nous touchent peut-être plus profondément que ne l'ont jamais fait les péripéties de Fiordiligi, Dorabella, Ferrando et Guglielmo.
(d'après le Générique du 27 mars 2009)

// Complete Works

Le public du Théâtre de la Ville a vivement regretté, hier soir, lors de la discussion d'après-spectacle, l'absence de Romain Duprat, retenu à Berlin par les répétitions du nouveau spectacle qu'il prépare pour le prochain festival d'Avignon, dont il sera l'artiste associé. Privés de leur chorégraphe-star, les cinq danseurs de Complete Works ont quelque peu peiné à justifier des parti-pris dramaturgiques et esthétiques qui, aux yeux des quelques dizaines de spectateurs restés au terme des trois heures trente de spectacle, ont paru au mieux énigmatiques, au pire arbitraires et tape-à-l'œil.

Il faut reconnaître que, présenté comme un spectacle sur le travail (d'où son titre), Complete Works semble plutôt une compilation de clichés auxquels “l'enfant terrible de la chorégraphie francaise” n'avait pas vraiment habitué ses fans. La composition d'images (de “visions”, d'après la feuille de salle) que nous avons pu contempler hier semblait en effet quelque peu hasardeuse, dans un genre intuitif “très vingtième siècle”, pour reprendre les mots d'un spectateur. En vrac : un homme transpire dans un sac poubelle pendant qu'un robot danse un long solo “sans espoir” ; une femme place sa tête dans un champ magnétique qui hérisse ses cheveux en sphère parfaite autour de son visage ; des slogans absurdes sont écrits en anglais sur des bouts de carton brandis à bout de bras ; un danseur perce un trou dans le sol tandis qu'un autre déplace un portique ; une danseuse se recouvre de moutarde, puis hurle sans conviction un poème interminable dans lequel il est question d'enfance et de révolte… Sans parler de l'errance scénique de trois Saint-Bernard à la symbolique aussi grossière qu'impénétrable.

À la légitime curiosité manifestée par les spectateurs sur les raisons ayant présidé à de tels choix, les danseurs n'ont su répondre que par de vagues soupirs, des explications très générales ayant à voir avec “la sensibilité de Romain”, ainsi que des considérations d'ordre méta-dramaturgique du type “Romain avait envie d'hétérogénéité”, “Romain souhaitait surprendre son public”, “Romain voulait une pièce longue”, ou “Romain aime la rupture”... Autant dire que ces réponses n'ont pas été jugées satisfaisantes par l'assistance, dont une bonne partie a quitté la salle avant la fin de la rencontre.

Pour couronner le tout, une polémique a envenimé la soirée, un spectateur s'étant ému que l'idée de la scène liminaire (un danseur s'enflamme brutalement) ait été achetée pour une poignée d'euros à une artiste-performeuse désargentée. Si l'anecdote est véridique, ce genre de pratique impérialiste en dit long sur la créativité d'un artiste aujourd'hui au sommet de sa carrière (il vient d'être nommé directeur du CCN de Belfort), mais dont les audaces formelles et conceptuelles semblent définitivement derrière lui.
(d'après le Générique du 4 avril 2009)

// La Bataille

Ayant élu domicile, pour la troisième année consécutive, au cœur des magnifiques ruines antiques du site archéologique, le festival TSA (théâtre Semi-Amateur) de Cholet tient, une fois de plus, toutes ses promesses. Après les acrobaties du GIF (Groupe d’Intervention des Fantômes) qui nous avait émerveillés le soir de l’ouverture, c’était hier soir le tour des élèves de première du lycée Saint-Exupéry, sous la houlette de leur professeur de français M. Olivier Nourisson, de nous présenter La Bataille, un étonnant spectacle inspiré des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné.

Comme il nous l'a été expliqué lors du débat qui a suivi cette première représentation, l’idée du spectacle est née d’un rapprochement entre le club de théâtre et le club de boxe du lycée choletais. Poussant la boxe vers le théâtre (par l’usage intensif qu’il fait de la parole) et déplaçant le théâtre vers la boxe (dont il garde la physicalité mais non la visée compétitive), le spectacle impressionne par son intelligence puissante et sa violence maîtrisée.

Les jeunes acteurs, vêtus de costumes imaginés par leur professeure d'arts plastiques (dont l’aspect le plus remarquable consiste en des sortes de “gouttières buccales” leur permettant de “cracher” (sic) le texte sans rien en perdre), marient diverses vitesses d'action et de diction produisant de prodigieux effets de réel, une manière de travailler sans cesse à l’étirement de tous les instants. À partir de ce corps-à-corps verbal continu qui prend place dans un ring composé d'une chaîne humaine en perpétuelle dilatation, se dessine progressivement un schéma guerrier qui ne va pas sans en effrayer certains, si l’on prête foi aux questions et aux commentaires qui se sont librement exprimés lors du débat — certains spectateurs, parmi lesquels nombre de professionnels du théâtre et de l’éducation nationale, s'interrogeant sur la future réception du spectacle par les publics scolaires.

Quoi qu’il en soit, on ne peut qu’être épaté par l’énergie sportive qui se dégage des acteurs de ce projet (citons les tous : Amaia Urra, Lenio Kaklea, Viviana Moin, Grégory Castéra, Constantin Alexandrakis). Applaudissons par ailleurs le choix pertinent d’un texte rare, l’intelligence des situations et l’acuité des métaphores : les Choletais garderont longtemps en mémoire la marionnette pathétique et désarticulée du chien, les séries infinies de sauts à la corde au milieu des meules de foin, ou encore les traînées de corps inertes au travers des gradins. De tels rapprochements entre les mondes du théâtre et du sport, nous ne pouvons qu’en souhaiter d’autres aussi féconds.
(d'après le Générique du 11 avril 2009)